S’il est bien un haut grade maçonnique controversé, c’est le Chevalier Kadosh, actuellement 30° degré du Rite Écossais Ancien et Accepte et du Rite de Memphis-Misraïm, mais qui figurait dans d’autres systèmes, tels que le Rite de Perfection en 25 degrés.

Aujourd’hui, il fait partie des grades incontournables des systèmes qui le possèdent, comme le Chevalier Rose-Croix. Mais cela n’a pas toujours été le cas.

Origines et apparition du grade de Kadosh en France

Le Kadosh apparaît en France au milieu du XVIIIe siècle, et les deux plus anciens manuscrits présentant un rituel de ce grade datent de 1750.

Les principaux éléments qu’on retrouvera dans les degrés ultérieurs sont déjà présents dans ces deux manuscrits :

La légende Templière, l’origine ancestrale de l’Ordre, sa survivance en Écosse, le lien avec la franc-maçonnerie ; mais aussi des éléments rituels, tels que le cordon noir, le poignard, le mot Nekamah, l’échelle aux deux montants et aux sept échelons portant des noms hébreux…

Chevalier Kadosh et légende Templière

On l’aura compris, le Kadosh est un grade maçonnique templier, accréditant la légende que les francs-maçons seraient les descendants des Templiers, mais peut-être aussi leurs ancêtres. Mais c’est aussi un grade d’Élu, puisque le Kadosh est armé d’un poignard et vêtu d’un cordon noir, comme l’Élu des Neuf, vengeur d’Hiram. Le Kadosh est donc le vengeur des Templiers, et injustement condamnés par Philippe le Bel et Clément V.

De là à y reconnaître un complot contre le trône et l’autel, il n’y a qu’un pas. Au plus fort de l’anticléricalisme républicain du XIXe siècle, on trouvera des versions du grade où le récipiendaire est invité à fouler au pied la tiare pontificale et la couronne royale. Le message était clair.

Le Kadosh, un grade controversé au sein de la franc-maçonnerie

C’est en cela que le Kadosh est controversé. On ne s’en aperçoit pas forcément aujourd’hui, car les Templiers sont devenus un lieu commun de l’ésotérisme popularisé, et on ne compte plus les romans et films qui brodent allègrement sur le thème de leur survivance, de leur trésor ou de leur secret. Mais il en allait autrement avant le XVIIIe siècle.

Certes, depuis le XVIe siècle, de nombreux auteurs remettaient en doute le bien-fondé de la condamnation des Templiers et suggéraient souvent que c’était surtout la cupidité qui avait motivé Philippe le Bel. Mais personne n’aurait osé se réclamer ouvertement de l’Ordre de Temple ni tenter de le réhabiliter ou de le restaurer : cela aurait signifié s’opposer directement à l’Église et au Roi.

Au siècle des Lumières, où l’on commence à s’affranchir du pouvoir ecclésiastique et où l’on fera bientôt vaciller la monarchie, cela devenait possible. 

Les causes d’émergence des grades maçonniques templiers

Mais pourquoi des francs-maçons du XVIIIe se sont-ils identifiés aux Templiers, et, pour certains, ont-ils cherché à restaurer cet ordre aboli depuis quatre cents ans ? Il y eut certainement plusieurs raisons.

Les premières sont à n’en pas douter financières : l’Ordre de la Stricte Observance Templière (ancêtre allemand du Régime Écossais Rectifié), en cherchant à se faire reconnaître comme descendant légitime des Templiers, entendait se faire restituer tous les biens de l’Ordre, notamment ceux qui avaient été dévolus à l’Ordre de Malte.

Mais certains se demandèrent d’où venait la richesse des Templiers et supposèrent que les Chevaliers au blanc manteau avaient découvert le secret de la transmutation des métaux. La quête néo-templière pouvait ainsi prendre une connotation clairement alchimique.

La fascination pour les Templiers a aussi signifié pour certains une recherche plus spirituelle. Les Templiers avaient longtemps vécu en Orient, ils avaient fait des fouilles sous le Mont du Temple à Jérusalem, ils avaient fréquenté des mystiques musulmans, tel le Vieux de la Montagne, chef de la secte des Assassins: ils étaient donc certainement les détenteurs de prodigieux secrets.

Enfin, plus prosaïquement, certains francs-maçons virent dans les Templiers l’archétype des toutes les victimes de l’oppression politique et religieuse. Déjà présente au XVIIIe siècle, cette interprétation va bien sûr s’amplifier au XIXe, sur fond de lutte anticléricale.

 

Fortes réticences envers le Kadosh aux XVIIIe et XIXe siècles

Quelles que soient les raisons qui ont amené certains francs-maçons à se prétendre héritiers des Templiers, les grades néo-templiers, et en particulier le Kadosh, ne firent pas l’unanimité dans la franc-maçonnerie, loin de là.

Dans les années 1760, la Grande Loge de France (qui allait devenir le Grand Orient de France en 1772) se montra clairement hostile au Kadosh, et Jean-Baptiste Willermoz, fondateur du Rite Ecossais Rectifié, le rejeta avec horreur (comme les autres grades maçonniques dits de vengeance), le décrivant comme abominable et contraire aux valeurs de la franc-maçonnerie.

Puis survint la Révolution. La légende néo-templière fut retournée contre la franc-maçonnerie par l’antimaçonnisme des ultras catholiques qui, à la suite de l’Abbé Barruel, voulurent faire croire que les francs-maçons étaient à l’origine de la Révolution et avaient par cette dernière accompli la vengeance des Templiers.

La réticence à pratiquer le Kadosh se prolongea donc au XIXe siècle, ce siècle mouvementé qui vit se succéder en France un Empire, une Restauration autoritaire, une monarchie constitutionnelle, une IIe République qui se mua en Second Empire, puis enfin une IIIe République.

En 1806, le Suprême Conseil de France du REAA, fondé deux ans auparavant, promulgua que le 30° degré (le Kadosh) ne pouvait être conféré que par communication, c’est-à-dire sans cérémonie de réception. Il faut attendre 1830 pour que deux Aréopages se mettent effectivement à pratiquer le rituel du Kadosh, suivis par deux autres sous la Monarchie de Juillet.

Sous le Second Empire, deux Aréopages furent également créés. Mais, ce n’est pas étonnant, c’est sous la IIIe République qu’il s’en créa le plus, soit huit. Mais tous ne durèrent pas, car en 1890, il n’y en avait que cinq sur tout le territoire français. Même si le Kadosh pouvait correspondre à la sensibilité anticléricale et républicaine du Grand Orient de France de l’époque, on ne peut pas vraiment parler de déferlante.

 

Le grade de Kadosh après la Seconde Guerre Mondiale

Alors comment expliquer que le Kadosh fasse aujourd’hui partie des quelques degrés qui sont forcément conférés lors d’une cérémonie complète dans la plupart des rites maçonniques que le comptent dans leur échelle de grades maçonniques ? Il semble que ce grade se soit imposé ainsi à la suite de la Seconde Guerre Mondiale.

Après les horreurs de ce conflit et la persécution brutale de pans entiers de la population (Juifs, tsiganes, handicapés mentaux, communistes, mais aussi francs-maçons), il est assez compréhensible que les francs-maçons aient revalorisé ce grade, qui permettait de s’identifier à toutes les victimes d’oppression et de réaffirmer que la franc-maçonnerie doit "combattre par tous les moyens et sans trêve ni repos toute injustice et toute oppression" (instruction du 30° degré, Tuileur de Lausanne, 1875).

29 août, 2023 — Ion Rajalescu