Les Templiers! Ce nom à lui seul fait rêver et évoque une épopée chevaleresque, une fin dramatique, mais aussi des promesses de trésors enfouis et de secrets bien gardés. Les Templiers font toujours recette dans la littérature d’aventure, le cinéma, les jeux vidéos, et bien sûr la littérature ésotérique. La franc-maçonnerie n’est pas en reste, puisque plusieurs grades maçonniques et même des rites entiers se sont appuyés sur la légende de la survivance des Templiers. Mais d’où vient cet engouement durable? Qu’est-ce qu’ont donc les Templiers pour s’être installés aussi fortement et durablement dans notre imaginaire? C’est le mystère qui semble entourer leur ordre, leur longue implantation en Orient, leur fabuleuse richesse et surtout leur fin tragique. Et bien sûr, le fait que les Templiers n’existent plus nous donne une grande liberté pour projeter sur eux toutes sortes de spéculations parfois hasardeuses: ils ne sont plus là pour se défendre. L’histoire authentique des Templiers justifie-t-elle toutes les légendes qui se sont développées autour de cet ordre religieux?


Origines des Templiers 


L’Ordre des Templiers apparaît à l’occasion des croisades. On pourrait remplir des centaines de pages pour raconter leur histoire, mais nous n’en retiendrons d’ici que les traits les plus importants. En 1118, neuf chevaliers choisirent de s’unir à Jérusalem pour protéger les pèlerins, qui étaient la proie de nombreuses attaques. Ils s’engagèrent à la vie religieuse devant Gormond (souvent orthographié Garimond), le patriarche latin de Jérusalem, prononçant les vœux de chasteté, pauvreté et obéissance, suivant la règle de St Augustin en usage chez les Chanoines du St Sépulcre, auxquelles ils furent rattachés dans un premier temps. 


Convaincu de l’utilité d’une telle milice en Terre Sainte, le roi de Jérusalem Baudoin II leur accorda une partie de son palais, correspondant à l’actuelle mosquée El Aqsa, qu’on croyait alors située à l’emplacement de l’ancien Temple de Jérusalem. C’est pourquoi, on appela couramment ces chevaliers Templiers, le nom officiel de l’ordre étant Milice des Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon. 


Cette nouvelle congrégation fut approuvée canoniquement par un concile régional tenu à Naplouse en 1120. Et en 1127, cinq de ses membres, dont Hugues de Payns, leur chef, et André de Montbard, neveu de Bernard de Clairvaux, entreprirent une tournée en Europe pour récolter des fonds, recruter des chevaliers et faire approuver par l’Église un nouveau statut inédit, celui de moine-soldat. Ce qui fut fait par le pape Honorius III au concile Troyes, tenu la même année. Les Templiers recevaient en outre une nouvelle règle, rédigée à leur intention par Bernard de Clairvaux.


Les Templiers devenaient ainsi la première armée permanente du Royaume Latin de Jérusalem, suivis par l’Ordre de St-Jean de Jérusalem (né vers 1080 et approuvé en 1113 comme Ordre hospitaliers, il devient militaire en 1182) et les chevaliers Teutoniques (ordre militaire et religieux allemand, né en tant qu’Hospitalier en 1190 et devenu militaire en 1199).


L’expansion des Templiers


Exaltant la dimension spirituelle de la chevalerie, en un temps où apparaissaient les premiers romans de chevalerie traitant notamment de la Quête du Graal, les Templiers offraient une voie de réalisation qui répondait aux attentes de beaucoup de chevaliers européens. Le recrutement et les dons affluaient, faisant rapidement de l’Ordre la première multi-nationale du monde, avec un réseau de commanderies très dense. La majorité des commanderies, situées en Occident, devenaient la base économique de la branche combattante active en Terre Sainte. Contrairement à ce que l’on imagine souvent, il y avait très peu de chevaliers Templiers en Europe, à part dans la péninsule ibérique, où ils étaient militairement engagés depuis le milieu du XIIe siècle: la plupart des commanderies étaient des exploitations agricoles dirigées par des sergents, c’est-à-dire des Templiers d’origine non noble, vêtus de noir ou de brun, et non du fameux manteau blanc, orné de la Croix Rouge depuis 1147. 


Ce réseau économique permit aux Templiers de devenir également des banquiers. Celui qui voulait se rendre en Terre Sainte pouvait déposer de l’argent dans un établissement templier européen et recevait un reçu lui permettant de retirer cet argent dans un autre établissement de l’Ordre en Orient. Ils en vinrent même à prêter de l’argent, principalement aux souverains qui souhaitaient organiser une croisade.


Des politiques pragmatiques 


En Terre Sainte, les Templiers n’eurent pas qu’une activité guerrière et s’investirent beaucoup dans la diplomatie. Les Croisés qui débarquaient d’Europe était plein de certitudes simplistes, ils venaient juste combattre les Sarrasins et, avec un peu de chance, ils rentraient chez eux, sans se préoccuper des suites. Les Templiers, comme les autres Ordres militaires, étaient installés là et y restaient. Ils ne pouvaient donc se permettre d’être en guerre permanente avec tous les musulmans et durent forcément nouer des alliances, tantôt avec le Sultan de Damas contre le Sultan d’Égypte, ou l’inverse, composer avec les populations locales non chrétiennes et traiter avec les fameux "Assassins" ("ordre" mystique chiite, dirigé par le "Vieux de la Montagne", et dont seule une frange - les Fedayin - était combattante).


Les Templiers durent aussi naviguer entre les intérêts des souverains européens qui tous entendaient trouver quelque prestige à leurs actions souvent irréfléchies en Terre Sainte. Et bien sûr ils devaient tenir compte des Ordres militaires rivaux (chevaliers de St-Jean et Teutoniques), qui ne défendaient pas forcément la même politique qu’eux. Le programme d’origine des Templiers, très simple dans son énoncé de base "défendre la Terre Sainte", s’avéra être d’une grande complexité et nécessita bien des compromis.


La chute du Royaume latin de Jérusalem 


Miné par d’incessantes querelles intestines et manquant cruellement d’un soutien continu des états européens, le Royaume latin de Jérusalem fut finalement perdu. Tout d’abord, Jérusalem fut reprise par Saladin en 1187, qui s’empara également des villes portuaires comme St-Jean d’Acre. Les chrétiens durent alors se replier sur Tyr. Mais ils reprirent quelque peu la main à l’occasion de la Troisième Croisade, menée par Philippe-Auguste et Richard Cœur de Lion. En 1191, ce dernier reconquit St-Jean d’Acre, qui devint la nouvelle capitale de ce qui restait du Royaume de Jérusalem. Mais Jérusalem resta définitivement aux mains des Sarrasins. 


Les souverains européens ne cessaient de se disputer le titre de Roi de Jérusalem et l’anarchie se répandit dans ce semblant de royaume, que seuls les Templiers, les Hospitaliers et les Teutoniques s’efforçaient de maintenir hors de l’eau. Mais ils étaient divisés entre eux et servaient en fait des intérêts extérieurs différents. Ce n’est guère que lors du siège de St-Jean d’Acre par le Sultan d’Égypte en 1291 qu’ils luttèrent vraiment coude à coude, mais il était trop tard. La ville tomba le 18 mai 1291, mettant un terme définitif à l’existence du Royaume latin de Jérusalem. Les Templiers l’ignoraient encore, mais leurs jours furent comptés à partir de ce moment-là.


La fin tragique des Templiers 


Après la perte du Royaume de Jérusalem, les Templiers établirent le siège de l’Ordre à Paris, sans cesser de réclamer une nouvelle croisade (qui aurait été la dixième) pour reconquérir Jérusalem. Mais plus personne ne semblait prêt à se lancer dans une telle aventure, et surtout à en assumer les frais. Puissance économique et militaire considérable, les Templiers se retrouvèrent en quelque sorte sans utilité. Situation dangereuse, surtout quand on est créancier du Roi de France, en l’occurrence Philippe IV, dit le Bel. 


Le règne de Philippe le Bel fut marqué par la centralisation administrative et l’abandon progressif des usages féodaux, par la généralisation de l’impôt dans tout le Royaume de France et par de perpétuelles crises monétaires… En 1306, il expulsa les Juifs de France, non sans avoir confisqué tous leurs biens. Philippe le Bel devait beaucoup d’argent aux Templiers et avait d’abord imaginé régler ce problème en fusionnant l’Ordre des Templiers et celui des Hospitaliers de St-Jean se Jérusalem et en se faisant élire Grand Maître de ce nouvel Ordre unifié. Ce projet rencontra une fin de non recevoir, tant des Templiers que des Hospitaliers. Mais le Maître des Hospitaliers était à Rhodes, hors de portée, tandis que celui des Templiers résidait à Paris. Et c’était aux Templiers que Philippe le Bel devait de l’argent…


Une vaste machination se mit alors en place et, sur la base de dénonciations (manifestement calomnieuses) d’un ancien Templier exclu de l’Ordre, Philippe le Bel ordonna leur arrestation dans tout le royaume pour le vendredi 13 octobre 1307, et lança contre eux une procédure judiciaire pour hérésie. Le pape Clément V, qui devait la tiare pontificale à Philippe le Bel, ne put guère que suivre les injonctions du roi, avec plus ou moins de bonne volonté.


Sous la torture, de nombreux Templiers avouèrent tout ce qu’on leur reprochait: reniement du Christ, crachat sur le crucifix lors de leur réception secrète, adoration du Baphomet, simonie, sodomie etc. Mais il ne faut pas se laisser leurrer par ces aveux, obtenus qui plus est sous la torture: dans les procès pour hérésie, on ne cherchait pas à découvrir ce qui s’était vraiment passé, mais on établissait d’abord une liste des turpitudes habituellement attribuées aux hérétiques et l’on faisait confirmer ce formulaire par les accusés. En gros, c’est comme si le parquet rédigeait l’acte d’accusation avant que le juge d’instruction n’ait auditionné les prévenus.


De nombreux Templiers finirent sur le bûcher et, en 1312, au terme du Concile de Vienne, Clément V abolit l’Ordre du Temple, dont les biens furent dévolus aux Hospitaliers de St-Jean de Jérusalem, qui devaient payer 200’000 livres tournois (environ 3.8 millions d’euros) sur trois ans au roi de France, en dédommagement des frais occasionnés par le procès. Bien moins que ce qu’escomptait Philippe le Bel, à n’en pas douter. Quant au sort des membres de l’Ordre, il fut réglé ainsi: ceux qui étaient innocents ou qui avaient avoué se verraient allouer une pension et pourraient vivre dans une maison de l’Ordre (appartenant désormais aux Hospitaliers) ou se retirer dans un autre ordre religieux, et ceux qui avaient refusé d’avouer ou étaient revenus sur leur aveux se verraient condamnés selon toute la rigueur du droit canonique.


Restaient emprisonnés les quatre derniers grands dignitaires de l’Ordre, sur le sort desquels Clément V tardait à se prononcer: Jacques de Molay, Maître du Temple, Geoffroy de Charnay, Précepteur de Normandie, Hugues Pairaud, Précepteur de France, et Geoffroy de Gonneville, Précepteur d’Aquitaine. Ces quatre hommes espéraient encore une décision de clémence du pape. En décembre 1313, une commission de trois cardinaux fut nommée pour régler la question, commission qui convoqua un concile à Paris pour le 11 (ou le 18) mars 1314. Les quatre dignitaires Templiers comparurent devant un parterre de théologiens, espérant avoir l’occasion de se placer sous la protection du pape, mais ce fut seulement pour entendre qu’ils étaient condamnés à l’emmurement, c’est-à-dire une réclusion perpétuelle très stricte. Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay se rebiffèrent alors, proclamant qu’ils étaient innocents, de même que l’Ordre tout entier, et que leurs aveux n’avaient été soutirés que sous la torture. Ils revenaient sur leurs aveux et devenaient de ce fait relaps, passibles du bûcher. Les cardinaux suspendirent la séance et remirent la délibération au lendemain. Mais dès qu’il eut connaissance de ce qui s’était passé, Philippe le Bel ordonna que Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay soient brûlés vifs le jour même, ce qui fut fait sur l’Île des Javiaux, dite aussi l’Île aux Juifs, à côté de l’Île de la Cité. On dit que sur le bûcher, Jacques de Molay appela Clément V et Philippe le Bel à comparaître devant le tribunal de Dieu dans l’année. Est-ce vrai? Ce qui est par contre avéré, c’est que Clément V mourut le 20 avril 1314 et que Philippe le Bel le suivit dans la tombe le 29 novembre suivant.


Survivance des Templiers 


Le traitement des Templiers ne fut pas le même dans tous les pays. Aucun souverain ne les poursuivit avec autant de zèle que Philippe le Bel, et si des arrestations et des interrogatoires eurent bien lieu, la torture ne fut pas systématiquement appliquée, et les aveux très rares. Il n’en demeure pas moins que l’Ordre fut universellement aboli par le pape en 1312. Cette décision avait force de loi partout. Les anciens Templiers rejoignirent donc d’autres ordres religieux, dans tous les pays catholiques. 


Ce n’est que dans la péninsule ibérique que les Templiers survécurent collectivement, car leurs compétences guerrières y étaient requises par la Reconquista. Mais on créa pour eux deux nouveaux ordres, l’Ordre de Montesa dans le Royaume d’Aragon et l’Ordre du Christ au Portugal. Ces deux ordres ibériques sont donc des successeurs de l’Ordre du Temple, mais pas à proprement parler des survivances.


Quant à la prétendue survivance des Templiers en Écosse, qui auraient été abrités dans un prétendu Ordre de St-André du Chardon créé par Robert Bruce en reconnaissance de leur supposée participation à la bataille de Bannockburn en juin 1314, elle n’a aucune base historique. Les preuves que constitueraient les soi-disant pierres tombales templières et la Chapelle de Roslyn ont été rejetées par les historiens: les pierres tombales sont des sépultures de chevaliers croisés écossais et le Chapelle de Roslyn remonte aux années 1440, donc plus d’un siècle après l’abolition de l’Ordre du Temple. Cette légende romantique de la bataille de Bannockburn n’apparaît d’ailleurs dans les milieux maçonniques d’Écosse qu’à partir de 1843.


La survivance de l’Ordre du Temple en Écosse est donc une fiction, qui a vu le jour au sein de la franc-maçonnerie du XVIIIe siècle.


Les francs-maçons, héritiers des Templiers ?


Différents facteurs vont amener certains francs-maçons européens à se réclamer des Templiers au XVIIIe siècle. Tout d’abord, une question d’ordre sociologique: sous l’Ancien Régime, la plupart des francs-maçons, et notamment leurs dirigeants, étaient d’origine aristocratique. Se prétendre descendants des bâtisseurs de cathédrales était bien peu prestigieux pour eux, et l’on chercha des origines plus glorieuses. Un premier pas fut franchi par le fameux discours de Chevalier de Ramsay (1738): les francs-maçons seraient en fait les descendants des Chevaliers Croisés. Ce discours fut à l’origine du développement dès 1740 des premiers hauts grades maçonniques chevaleresques, à commencer par le Chevalier d’Orient. Il n’est pas encore question des Templiers, mais les thèmes de la chevalerie et des Croisades appellent assez naturellement celui des Templiers.


Autre facteur, le Siècle des Lumières fut celui de la Philosophie et des premières contestations du despotisme ecclésiastique et royal. Les Templiers, injustement abattus par la coalition d’un roi et d’un pape, pouvaient représenter le prototype de tous ceux qui combattent l’oppression religieuse et politique et devenaient même les premiers martyres de la cause de la Liberté.


Enfin, le mystère qui entourait beaucoup d’aspects de l’histoire des Templiers permettait les spéculations les plus hasardeuses. Avaient-ils été condamnés parce qu’ils détenaient une doctrine secrète? Avaient-ils eu accès à quelques secrets mystérieux en Orient? Leur fabuleuse richesse n’indiquait-elle pas qu’ils avaient découvert la Pierre Philosophale?


La figure mythique du Templier prit plusieurs formes, au sein de différents grades ou Rites maçonniques. En France, le grade maçonnique templier le plus important apparut vers 1750, sous la forme du Sublime Chevalier Élu, qui deviendra par la suite le Chevalier Kadosh, actuel 30e degré du Rite Écossais Ancien Accepté. Élaboré sur la base des grades d’Élus, vengeurs d’Hiram, ce degré décrit l’histoire d’un Ordre ancestral, qui aurait commencé avec les bâtisseurs du Temple de Salomon, serait devenus les Esséniens, qui, lors des Croisades, se serait unis aux Templiers, dont les survivants, s’étant réfugiés en Écosse, auraient finalement créé la franc-maçonnerie. La trame de la légende écossaise était posée et allait s’amplifier. Certains francs-maçons imaginèrent même que la légende maçonnique d’Hiram ne faisait que masquer le récit de la fin des Templiers et du supplice de Jacques de Molay, et crurent en voir la preuve dans les initiales des mots sacrés des grades d’Apprenti, de Compagnon et de Maître: J. B. M., pour Jacobus Burgundus Molensis, soit Jacques, Bourguignon, de Molay.


Les Templiers, allégorie de la dynastie Stuart

La franc-maçonnerie allemande ira beaucoup plus loin, voyant apparaître un Ordre maçonnique entier dont le but était le rétablissement de l’Ordre du Temple et la restitution de tous ses biens: la Stricte Observance Templière, fondé à partir de 1754 par le baron de Hund (1722-1776), et qui deviendrait le Régime Écossais Rectifié en 1782. La légende de la Stricte Observance Templière était en fait double: elle combinait le thème du rétablissement des Templiers avec celui du rétablissement sur le trône d’Angleterre de la dynastie Stuart, évincée depuis la Glorieuse Révolution de 1688 qui avait fait tomber Jacques II. Hund prétendait en effet avoir été reçu franc-maçon par un mystérieux Chevalier au Plumet Rouge, qui n’aurait été selon lui rien moins que Charles-Édouard Stuart (1720-1788), dit "Le Jeune Prétendant", petit-fils de Jacques II. Et c’est Charles-Édouard qui aurait donné à Hund la mission de rétablir l’Ordre du Temple.


Nous voici entrés de plein pied dans les imbroglios politico-maçonniques qui  jalonnèrent l’histoire de l’Angleterre jusqu’à l’extinction de la descendance directe de Jacques II (mort de Charles-Édouard en 1788), et qui marquèrent le développement de la franc-maçonnerie moderne et des hauts grades maçonniques dans toute l’Europe. Il serait impossible d’en décrire toutes les péripéties dans les limites de cet article, mais il faut en rappeler les principaux éléments.


La première Freemasonry spéculative anglaise naquit sous le règne de Jacques I Stuart, qui était en même temps Jacques VI d’Ecosse. C’est manifestement sous son impulsion que cette nouvelle institution fut créée, pour reproduire le modèle de la Maçonnerie écossaise, acquise au roi. Les Freemasons anglais semblent avoir joué un rôle discret mais important au sein du camp royaliste lors de la Guerre Civile de 1642-1646, et par reconnaissance, Charles II leur fut très favorable après la Restauration de la monarchie en 1660. Lors de la Glorieuse Révolution de 1688, qui mit fin au règne de Jacques II, la Freemasonry se scinda. Une partie, que l’on nomme "Jacobite" par référence à Jacques II, plus conservatrice et catholique, resta fidèle aux Stuart, tandis que l’autre, plus libérale et protestante, choisit de soutenir Guillaume d’Orange, puis la maison de Hanovre, et allait finir par fonder la Grande Loge de 1717. Si la franc-maçonnerie fut officiellement diffusée en Europe par la Grande Loge de 1717, des loges jacobites y étaient également bien implantées, ne serait-ce qu’à Saint-Germain en Laye, où la cour de Jacques II avait trouvé refuge. Il apparaît clairement que les jacobites cherchèrent à utiliser la franc-maçonnerie pour attirer des sympathies et éventuellement un soutien à leur cause, et que les hauts grades maçonniques furent leur principal moyen de propagande: qui aurait pu supposer que sous la reconstruction du Temple par Zorobabel ou la survivance et le rétablissement des Templiers se cachaient les prétentions dynastiques des Stuart? Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on a pu qualifier la prolifération des hauts grades maçonniques au XVIIIe siècle d’Écossisme, si de nombreux grades et Rites maçonniques sont aujourd’hui encore dits "Écossais" et si les degrés maçonniques templiers rapportent tous que les Templiers ont survécu en se réfugiant en Écosse.


Alors, tout est à jeter ?


Bien sûr que non! Ces considérations historiques n’enlèvent rien à la valeur symbolique des grades ou des Rites maçonniques Écossais ou Templiers. Ils avaient assez de force en eux-mêmes pour connaître un développement ultérieur qui n’aura plus aucun rapport avec l’histoire des Stuart. Ou plutôt, les symboles et les rites qu’ils véhiculent sont capables de nourrir notre imaginaire et notre spiritualité bien au-delà des intentions politiques de ceux qui les avaient créés. 


Mais une chose est sûre: la franc-maçonnerie ne descend pas des Templiers et, si différentes raisons ont pu amener les francs-maçons à se dire héritiers des Templiers au XVIIIe siècle, c’est un contexte politique particulier qui a fixé définitivement les contours de la légende qui veut que l’Écosse ait été le refuge des Templiers et le berceau de la franc-maçonnerie.

06 septembre, 2023 — Ion Rajalescu