Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ? Cette question en apparence simple et même élémentaire, beaucoup se la posent, dans le monde profane (c’est-à-dire chez ceux qui ne sont pas francs-maçons), mais aussi et peut-être surtout à l’intérieur de la franc-maçonnerie elle-même. "Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ?" se demande forcément l’Apprenti qui a fait le choix de s’engager dans cette démarche, mais ne sait pas encore très bien ce qu’il va y découvrir. "Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ?" s’interroge parfois le vieux Maître expérimenté, qui connaît parfaitement le rituel et ses symboles, mais se demande peut-être encore à quoi cela peut bien servir et constate, un peu désabusé, que les francs-maçons ne sont pas meilleurs que les autres… Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ? Il y a certainement autant de réponses subjectives qu’il y a de francs-maçons, comme nous allons le constater ici.


Des réponses variées 


Chaque franc-maçon aura sa propre réponse à cette question, mais cette réponse pourra varier selon l’époque, le pays d’origine, les orientations spirituelles ou socio-politiques, et la sensibilité de chacun. Car la franc-maçonnerie s’incarne non seulement dans ses membres, mais également dans les cultures au sein desquelles elle se développe. La franc-maçonnerie est universelle, certes, mais elle est multiple : il n’y a pas une franc-maçonnerie, mais des francs-maçonneries.


Du côté des profanes, les réponses seront tout aussi variées, mais souvent marquées par des préjugés, car les légendes désavantageuses sur la franc-maçonnerie sont nombreuses. Nous ne nous y attarderons pas dans cet article.


Quelques faits objectifs 


Tous les francs-maçons s’accorderont au moins sur quelques notions objectives, avec parfois des nuances. Apparue en Angleterre et en Écosse au XVIIe siècle, organisée dès le XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie est une organisation fraternelle et initiatique qui rassemble des hommes (et des femmes, c’est une des nuances qui ne fera pas l’unanimité) autour de valeurs telles que la liberté, l'égalité, la fraternité et la tolérance. 


Basée sur la symbolique des anciens bâtisseurs, elle repose sur des rituels, des symboles et des enseignements philosophiques et moraux visant à favoriser le développement personnel et la recherche de la vérité. Les francs-maçons se réunissent dans des loges maçonniques et suivent un parcours initiatique qui les amène à progresser dans leur connaissance d'eux-mêmes et des autres, au travers des grades d’Apprenti, de Compagnon et de Maître. 


La franc-maçonnerie n’est pas un simple club ouvert : les nouveaux membres n’y sont admis qu’après un processus d’enquête et au terme d’un vote. L’accès aux cérémonies est réservé aux initiés et c’est pourquoi la franc-maçonnerie est parfois considérée comme une société secrète, alors que les francs-maçons préfèrent la dire discrète.


Tous les francs-maçons se retrouveront plus ou moins dans cette description minimale. Mais dans le fond, on n’a encore rien dit !


Une réalité fantasmée multiple


Les choses se compliquent quand on commence à s’interroger sur les origines de la franc-maçonnerie, ses filiations, ses buts… 


Pour les uns, la franc-maçonnerie remonte directement aux confréries médiévales de bâtisseurs, pour d’autres elle fut fondée par les Templiers, pour d’autres encore, elle ne serait que la forme visible des Rose-Croix ou de toutes sortes de mouvements alchimiques et hermétiques, alors que certains la font remonter à la nuit des temps. 



Et à quoi sert-elle ? À transmettre une Tradition Primordiale immémoriale ? À véhiculer des secrets alchimiques ? À offrir une voie spirituelle et initiatique à ses adeptes ? À renouer avec les grandes traditions spirituelles et initiatiques des civilisations anciennes ? À changer la société en la rendant plus juste et plus fraternelle ? À propager l’égalité dans le monde ? À se réunir entre gens de la bonne société ? À faire des affaires grâce à un réseau d’influence ?


Pour la plupart des francs-maçons, la franc-maçonnerie est une réalité largement fantasmée et idéalisée et se retrouve au cœur d’un système de croyance spirituelle ou socio-politique. Il en résulte que personne n’a tort ni raison, mais que chacun projette sur la franc-maçonnerie ses propres aspirations, conditionnées par sa culture, son milieu, son origine sociale et ses convictions philosophiques ou religieuses. La franc-maçonnerie se préoccupe souvent moins de l’Histoire que des Légendes, qui sont le terreau idéal pour les les projections de toutes sortes. Et chacun y puisera les éléments pour constituer sa propre légende.


Qu’est-ce donc que la franc-maçonnerie ?


Avec ses cérémonies mystérieuses, ses titres ronflants, ses "déguisements" et ses épées, la franc-maçonnerie ne serait-elle qu’un vaste jeu de rôle grandeur nature, ou alors une sorte de gigantesque test projectif, comparable au fameux test de Rorschach ? Certainement, oui. Mais cela n’a rien de dépréciatif, bien au contraire.


Test de Rorschach


La franc-maçonnerie apparaît bien comme une géniale invention moderne, capable de permettre des interprétations bien différentes, tout en respectant le même cadre. Comme si ses créateurs avaient eu l’intuition quasi prophétique que le temps des édifices clos, des dogmes, des interprétations définitives était bien passé et qu’il fallait maintenant proposer un modèle ouvert et modulable, capable de s’incarner en divers lieux et temps. Elle est une parfaite manifestation de l’esprit Baroque, qui va donner naissance à notre monde contemporain. Les utopies, les énigmes faisaient rage à l’époque Baroque, dans la quête effrénée d’une sagesse nouvelle, capable de concilier les acquis des traditions antérieures et les découvertes des sciences naissantes. 


C’est pourquoi la franc-maçonnerie adopta dès l’origine un double visage : mystique d’un côté, rationaliste de l’autre. Elle était ainsi armée pour les époques qui suivraient, l’Histoire nous le montre bien. Selon les temps et les lieux, elle favorisa l’un ou l’autre de ses deux visages, pour présenter la surface de projection nécessaire ici et maintenant. 


Cette plasticité fondamentale de la franc-maçonnerie nous permet donc d’imaginer qu’elle sera encore capable de nourrir les aspirations humaines à l’avenir, et que l’on en pas fini avec elle ! Ses nouveaux visages, ses nouvelles croyances, ses nouvelles formes seront peut-être parfois surprenants, ils n’en seront pas moins fidèles à l’intuition géniale de ses créateurs : offrir aux humains un espace utopique dans lequel ils puissent vivre leur présent et rêver leur futur à la lumière de leur passé.

01 avril, 2024 — Ion Rajalescu