La franc-maçonnerie de l’Arche Royale est une spécificité des francs-maçonneries anglo-saxonnes, et elle pratiquée de manière un peu différente en Angleterre, en Écosse, en Irlande et en Amérique. L’Arche Royale est beaucoup moins répandue en Europe continentale, où elle surtout pratiquée en marge des Obédiences régulières, c’est-à-dire reconnues par la Grande Loge Unie d’Angleterre. Dans les pays européens, et particulièrement dans la franc-maçonnerie francophone, on connaît surtout le Chevalier de Royal Arche (anglicisme malheureux qu’il serait plus correct de remplacer par Chevalier de l’Arche Royale), 13e degré du Rite Écossais Ancien Accepté. Même si ce degré remonte probablement aux mêmes origines, il n’en est pas moins bien différent de l’Arche Royale au sens où l’entend la franc-maçonnerie anglo-saxonne. Un autre malentendu doit être levé en Français : il existe un autre Side Degree anglo-saxon nommé en français "Nautonier de l’Arche Royale", mais son nom anglais est "Royal Ark Mariner". Il ne s’agit pas de la même "Arche" : dans le cas du Nautonier, il s’agit de l’Arche de Noé, alors que dans l’Arche Royale, on parle d’une voûte souterraine située sous le Temple de Jérusalem.


Origines de l’Arche Royale et développement en Angleterre 


Les origines de l’Arche Royale sont assez difficiles à déterminer. Il pourrait venir des usages de la Loge d’York, mais les premières traces tangibles apparaissent en Irlande dans les années 1740. Et c’est d’Irlande qu’il va (re)venir en Angleterre, sans doute avec les immigrés irlandais de la famine de 1744-1745. Pour certains auteurs, l’Arche Royale aurait de lointaines origines françaises et remonterait, comme le Chevalier d’Orient, au Discours du Chevalier de Ramsay (1736), et serait passé ensuite en Irlande puis en Angleterre.


En Angleterre, l’Arche Royale fut pratiquée dès 1752 par les "Anciens", qui comptaient de nombreux Irlandais dans leurs rangs. Les "Modernes" commencèrent par s’y opposer, car ils n’acceptaient aucun degré supérieur au Maître. Ils se mirent progressivement à la pratiquer, mais dans une structure extérieure à la Grande Loge de Londres, alors que les "Anciens" le faisaient au sein de leur propre Grande Loge.


Lors du rapprochement des deux Grandes Loges anglaises, qui devait aboutir à la formation de la Grand Loge Unie d’Angleterre en 1813, il fallut régler le statut de l’Arche Royale au sein de la nouvelle organisation. On trouva alors une formule de consensus au pragmatisme très britannique, mais paradoxale dans son énoncé : "La Maçonnerie pure et ancienne consiste en trois degrés et non davantage, à savoir ceux d’Apprenti, de Compagnon et de Maître, Y COMPRIS l’Ordre Suprême de la Sainte Arche Royale" (Acte d’Union, article 2; c’est nous qui soulignons). Ce "y compris" fait de l’Arche Royale un simple complément du grade de Maître et non un degré en soi, et pourtant il est administré par un Grand Chapitre distinct de la Grande Loge, mais lié à elle.


Ceci concerne l’Angleterre, où ce degré est appelé Arche Royale Domatique, mais l’Arche Royale est pratiquée un peu différemment en Écosse, en Irlande et en Amérique.

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Les différentes formes de l’Arche Royale


Le principal point commun des différents rituels de l’Arche Royale réside en son thème central, qui est la découverte d’une voûte souterraine sous le Temple de Jérusalem au sein de laquelle le récipiendaire de ce grade maçonnique découvre le Tétragramme divin (יהוה), ainsi qu’un autre nom mystérieux.


Ce grade est très biblique, comme le sont généralement les Side Degrees anglo-saxons, et fait intervenir la symbolique des Douze Tribus d’Israël. En Angleterre, en Écosse et en Amérique, l’histoire se déroule lors de la reconstruction du Temple détruit par les Babyloniens, et les trois "Principaux" qui président le Chapitre sont le Prince Zorobabel, le Prophète Aggée et le Grand Prêtre Josué, et le prophète Néhémie et le scribe Esdras sont aussi présents dans le collège des Officiers. Le rituel fait ainsi écho aux livres bibliques d’Esdras et de Néhémie, qui rapportent le retour d’exil, et la reconstruction de Jérusalem et du Temple. 


L’Arche Royale Irlandaise se situe elle dans un contexte biblique antérieur, celui de la restauration du Temple ordonnée par le roi Josias, rapportée au 22e chapitre du Second Livre des Rois : les Trois Principaux y sont donc le Roi Josias, le Grand-Prêtre Hilkiyah et le Scribe Shaphân.


L’Arche Royale Écossaise 


L’Arche Royale Écossaise est très proche de son homologue anglaise et utilise presque les mêmes décors maçonniques, la seul différence étant la nuance de couleur des triangles rouge qui alternent avec les bleus sur les écharpes et les bordures de tabliers : rouge en Angleterre, cramoisie en Écosse. 


Dans ces deux variantes de l’Arche Royale, le Premier Principal est Zorobabel, le Deuxième le Prophète Aggée et le Troisième le Grand-Prêtre Josué. Mais dans les deux cas, l’Arche Royale est un unique grade, conféré aux Maîtres et non plus aux anciens Vénérables, comme c’était le cas jusqu’en 1823. Mais en Écosse, on requiert en plus du récipiendaire qu’il soit détenteur du degré de Maître de la Marque qui, dans ce pays, est le plus souvent conféré au sein de la Loge symbolique, comme un complément au grade de Compagnon.


L’Arche Royale Irlandaise 


En Irlande, nous l’avons vu, les Trois Principaux sont différents, car le récit se passe à une autre époque de l’histoire biblique : le Premier Principal représente le Roi Josias, le Deuxième le Grand-Prêtre Hilkiyah et le Troisième le Scribe Shaphân. Les décors maçonniques sont très différents des versions anglaise et écossaise, puisque les sautoirs et écharpes sont rouges, de même que la bordure des tabliers. Mais là encore il s’agit d’un grade unique qui, comme en Écosse, requiert que le récipiendaire soit préalablement reçu Maître de la Marque.


L’Arche Royale Américaine (Rite d’York)


L’Arche Royale américaine est plus complexe, puisqu’elle est intégrée au système de hauts grades du Rite d’York. Il ne s’agit plus d’un grade isolé, mais il fait partie d’une série, dont il est le sommet : à l’intérieur du Rite d’York, le Chapitre de l’Arche Royale représente la deuxième série, après la Loge bleue, et administre les degrés de Maître de la Marque, Passé Maître Virtuel, Très Excellent Maître et Maçon de l’Arche Royale. 


Le rituel américain il se distingue des autres versions sur plusieurs points : comme l’Arche Royale anglaise et écossaise, la légende raconte la reconstruction du Temple et met en scène Zorobabel, mais cette fois-ci il n’est que le Deuxième Principal, le Premier étant le Grand-Prêtre Josué, le Troisième restant la Prophète Aggée. Quant aux décors maçonniques, ils sont de couleur rouge, et rappellent ceux de l’Arche Royale irlandaise.

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L’Arche Royale, un degré aux multiples facettes


L’Arche Royale anglo-saxonne semble donc suivre deux traditions, voire trois. La plus ancienne semble être l’irlandaise, qui n’a pas encore joint la légende à celle de la reconstruction du Temple, et qui utilise des décors plus simples et "archaïques". Le rouge est en effet la couleur la plus utilisée par les anciens hauts grades, notamment d’origine française, au point que plusieurs rituels du XVIIIe siècle la décrivent comme "la véritable couleur écossaise".


La deuxième tradition est la forme que l’Arche Royale prit en Angleterre puis en Écosse, où le récit s’est enrichi de la thématique de la reconstruction du Temple. Les décors maçonniques sont très inhabituels, ornés de triangles bleus et rouges, qu’on ne retrouve dans aucun autre degré maçonnique.


Enfin, l’Arche Royale américaine semble être une sorte de synthèse des deux autres traditions, ce qui n’est pas étonnant quand on sait que la franc-maçonnerie a été diffusée en Amérique autant par les Anglais que par les Irlandais et les Écossais. Les décors maçonniques sont rouges et restent très proches de la tradition irlandaise, mais la légende est celle de la reconstruction du Temple par Zorobabel. Cependant, la répartition des Trois Principaux diffère de celle du modèle anglais et écossais et peut laisser supposer l’existence d’une source différente, qui ne nous serait pas parvenue.

24 janvier, 2024 — Ion Rajalescu