L’énigme maçonnique et rosicrucienne de l’église St Jean de Warminster
Vous résidez à Warminster dans le Wiltshire ou vous avez déjà visité ce comté anglais, notamment pour y admirer l’extraordinaire monument mégalithique de Stonehenge qui s’y trouve. Peut-être alors avez-vous eu l’occasion de visiter l’église St Jean l’Évangéliste de Warminster. Mais avez-vous remarqué un détail, que l’on pourrait aisément considérer comme une petite énigme maçonnique et rosicrucienne ? Votre curiosité est piquée et vous vous demandez certainement quelle est l’énigme maçonnique et rosicrucienne de l’église St Jean de Warminster ! C’est ce que cet article va vous faire découvrir.
L’Église St Jean de Warminster
Au premier abord, la pittoresque église St Jean de Warminster, fort jolie, ressemble à beaucoup d’autres édifices religieux britanniques, dans le style que les Anglais qualifient de Early English Gothic Style. Ce style architectural prima en Angleterre entre la fin du XIIe et le milieu du XIIIe siècle, mais fut largement repris et imité dans la mouvance de l’architecture néo-gothique du XIXe siècle.

L’église St Jean de Warminster
Malgré son allure parfaitement médiévale, l’église St Jean de Warminster est en fait un bâtiment néo-gothique et fut édifiée en 1864-1865. En effet, la population de Warminster ayant fortement augmenté au XIXe siècle, l’ancienne église St Denys, qui remonte au XIe siècle, se révéla insuffisante et deux nouvelles églises furent bâties, Christ Church en 1831 et St Jean en 1865.
L’architecte de l’église St Jean fut George Edmund Street (1824-1881), l’un des plus remarquables architectes néogothiques de la période victorienne, à qui l’on doit de nombreuses églises, mais qui est surtout connu pour son chef d’œuvre, la Cour Royale de Justice de Londres. L’extérieur simple et sobre de l’extérieur de l’église contraste avec la richesse de son ornementation intérieure. On peut en effet y contempler de magnifiques vitraux réalisés par Clayton and Bell, de Londres, spécialisés dans le style néogothique. On peut également y admirer du superbes mosaïques conçues par autre éminent architecte néogothique, Charles Edwin Ponting F.S.A. (1850-1932) et réalisées entre 1911 et 1915 par James Powell and Sons, de Londres. Ponting ajouta également entre 1925 et 1926 un baptistère en forme de voûte en cul-de-four à l’extrémité est de l’église.
Les mosaïques des quatre archanges
Mais où peut bien se nicher cette fameuse énigme maçonnique et rosicrucienne ? Seuls les esprits les plus avertis la remarqueront. On la trouve dans les mosaïques des quatre archanges, placées de part et d’autre du vitrail central du chœur de l’église : il s’agit plus particulièrement de la mosaïque représentant l’archange Raphaël, dont tout franc-maçon détenteur du grade de Chevalier Rose-Croix et quelque peu connaisseur des Noces Chymiques de Christian Rosencreuz remarquera les surprenantes caractéristiques.

La mosaïque de l’archange Raphaël à St Jean de Warminster
On sait que Raphaël apparaît traditionnellement dans le rituel de réception au grade de Chevalier Rose-Croix, où il est représenté par celui qui guide le récipiendaire dans ses pérégrinations symboliques. Ce grade se retrouve dans plusieurs rites maçonniques, tels que le Rite Écossais Ancien Accepté, le Rite Français Traditionnel ou les Princes Maçons Irlandais. Mais en quoi la mosaïque de l’église St Jean de Warminster ferait-elle allusion à ce degré maçonnique et plus généralement à la tradition rosicrucienne ? La représentation d’un archange dans une église n’a rien d’incongru et il n’y a nul besoin d’une hypothèse maçonnico-rosicrucienne pour en justifier la présence.
Pourtant si. La manière dont Raphaël est représenté sur cette mosaïque s’explique difficilement autrement. Jusqu’à un certain point, la représentation est traditionnelle, montrant Raphaël accompagnant le jeune Tobie, conformément au récit rapporté dans le Livre de Tobit, un livre biblique deutérocanonique présent dans les Bibles catholiques et orthodoxes mais absent des éditions protestantes. Mais trois détails ne correspondent pas aux représentations traditionnelles.
Premièrement, la couleur dominante de cette mosaïque, tant pour le vêtement que pour les ailes de l’archange est le rouge. Or traditionnellement, Raphaël est plutôt associé à la couleur verte, tandis que le rouge est précisément la couleur des décors maçonniques du Chevalier Rose-Croix. Il peut bien sûr s’agir d’un simple choix artistique et cela ne prouve encore rien.
Mais un deuxième détail est intriguant. Raphaël tient une épée de la main droite, alors qu’aucune épée n’est mentionnée dans le récit du Livre de Tobit. Dans les représentations traditionnelles, il peut arriver que les quatre archanges soient munis d’épées, en signe de pouvoir. Mais dans le cas de Raphaël, quand il est montré accompagnant Tobit, il ne porte jamais d’épée. Par contre le Raphaël du grade de Chevalier Rose-Croix en porte une, comme d’ailleurs tous les membres du Chapitre. Là encore, on peut supposer une erreur iconographique, encore que Charles Ponting connaissant bien le sujet ne l’aurait certainement pas commise.
Mais le détail le plus le déterminant, c’est le curieux habillement de Raphaël sur la mosaïque. Il est revêtu de blanc et porte, croisé sur la poitrine, un large ruban rouge, retenu par la ceinture. Une simple étole, me direz-vous, mais pourquoi les autres archanges n’en portent-ils pas une eux aussi ? Ne devrions-nous pas plutôt voir dans cette curieuse vêture une référence claire à l’habillement de Christian Rosencreuz, quand il se prépare à se rendre aux Noces Royales auxquelles il a été invité : " Sur ce, je me préparais pour le chemin, mis mon habit de lin blanc, ceinturais mes reins avec un ruban rouge-sang noué en croix sur mes épaules" (Les Noces Chymiques de Christian Rosencreuz, Premier Livre, Jour 1).
Trois détails surprenants de cette représentation de Raphaël nous orientent ainsi vers l’hypothèse qu’une signification maçonnico-rosicrucienne a vraisemblablement guidé Charles Ponting dans la conception de cette œuvre. Cette impression est d’ailleurs renforcée par une étrange caractéristique des quatre mosaïques des archanges de l’église St Jean de Warminster : seule deux couleurs dominent les quatre représentations, le bleu pour Michel et Gabriel, et le rouge pour Raphaël et Uriel. Or traditionnellement, les quatre archanges sont chacun associés à une couleur : le vert pour Raphaël, le pourpre pour Michel, le bleu pour Gabriel et l’or ou le rouge pour Uriel. Cette répartition n’est pas absolue et peut connaître des variantes, mais il dans tous les cas d’usage d’attribuer une couleur différente à chaque archange.

Les quatre archanges de St Jean de Warminster
Alors pourquoi deux couleurs seulement caractérisent-elles les quatre archanges de Warminster ? Ne pourrait-on pas reconnaître ici les marques distinctives de deux types de francs-maçonneries : la franc-maçonnerie bleue, comme l’on désigne couramment la franc-maçonnerie symbolique, c’est-à-dire les trois premiers grades, et la franc-maçonnerie rouge, ou écossaise, c’est-à-dire les hauts grades. Le rouge est en effet la couleur du grade de Chevalier Rose-Croix, mais également de nombreux autres hauts grades et plusieurs rituels français du XVIIIe siècle définissaient le rouge comme étant "la véritable couleur écossaise".
Même si leur représentation est classique et ne semble pas cacher de message secret, les couleurs portées par Michel, Gabriel et Uriel sont intriguantes. Voyons en quoi ces couleurs pourraient suggérer une signification maçonnique. Le bleu pour Michel et Gabriel pourrait nous indiquer la fonction de la franc-maçonnerie bleue : Michel terrassant un dragon ou un démon ne représenterait-il pas la lutte contre les passions dans laquelle le franc-maçon est entré par son initiation ? Et Gabriel annonçant une naissance miraculeuse ne préfigurerait-il pas qu’Hiram renaît dans chaque Maître qui se relève ?
Pour le rouge, nous avons déjà vu que cette couleur est celle du Chevalier Rose-Croix, dont le rituel mentionne explicitement Raphaël. Et concernant Uriel, cette couleur peut aussi se comprendre. Uriel, la Lumière de Dieu, est l’archange révélateur des vérités supérieures : l’associer au rouge pourrait indiquer que c’est au sommet de la franc-maçonnerie écossaise que sont révélés les ultimes secrets de la franc-maçonnerie.
Enfin, si l’on associe le bleu et le rouge, qu’obtient-on ? Les décors maçonniques de l’Arche Royale Domatique, si importante dans la franc-maçonnerie anglaise !
L’énigme demeure
Beaucoup d’indices nous inciteraient à voir dans les quatre archanges de l’église St Jean de Warminster des allusions à la franc-maçonnerie et à la tradition rosicrucienne. Mais il est difficile de prouver cette hypothèse. C’est pourquoi nous parlons d’une énigme.
Il faudrait pouvoir prouver que Charles Edwin Ponting était franc-maçon et nos recherches dans ce sens n’ont pas abouti. Nulle part nous ne trouvons trace de son appartenance à l’ordre maçonnique. Par contre, il était clairement anglo-catholique, c’est-à-dire d’une mouvance à l’intérieur de l’Église Anglicane qui, dès les années 1830, défendait le caractère catholique de l’anglicanisme. Certains de ses membres n’hésitèrent pas à rejoindre l’Église catholique romaine, tel John Henry Newman (1801-1890), prêtre anglican reçu dans l’Église catholique en 1845, où il fut créé cardinal en 1879. De nombreux francs-maçons anglo-catholiques quittèrent la franc-maçonnerie, pour s’aligner sur la position romaine.

La Société des Antiquaires de Londres
Ponting adhérait ainsi à un mouvement qui n’était pas forcément favorable à la franc-maçonnerie, mais d’un autre côté, il était membre de la Société des Antiquaires (Fellow of the Society of Antiquaries, F.S.A.), une prestigieuse société savante londonienne qui compta toujours de nombreux francs-maçons parmi ses membres. Son goût pour l’architecture médiéval l’a forcément amené à s’intéresser à la franc-maçonnerie, ne serait-ce que d’un point de vue historique, et il fréquenta forcément de nombreux francs-maçons. Et l’on peut également penser que le côté romantique et vaguement mystique du mouvement néogothique a très bien pu l’avoir amené à s’intéresser au rosicrucianisme.
Une influence maçonnique et rosicrucienne sur Charles Edwin Ponting est donc possible et nous serions reconnaissant si des lecteurs pouvaient nous apporter des informations qui nous aurait échappé concernant son éventuelle appartenance maçonnique et ses motivations spirituelles. Mais pour l’instant, l’énigme de l’église St Jean de Warminster reste entière.
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