La symbolique du cercle en franc-maçonnerie ne saute pas aux yeux au premier abord, mais elle est bien présente, souvent plus suggérée qu’explicitement exposée. Il est vrai qu’en franc maçonnerie, on est plus habitué à traiter de la symbolique des angles, induits par des outils comme l’Équerre, le Niveau, la Perpendiculaire, et par l’omniprésence du symbole du Triangle. Et l’on voit peu de cercles en Loge. Ce serait oublier que la symbolique du Compas est tout aussi importante en franc-maçonnerie. Et qui dit Compas dit cercle. Quelle peut donc être la signification de la symbolique du cercle en franc-maçonnerie ? Où se cache-t-elle à défaut d’être évidente ?


La symbolique du cercle en Loge symbolique 


Même si le Compas est présent dès le premier grade, on en parle peu aux grades d’Apprenti et de Compagnon dans les rites maçonniques continentaux. L’Apprenti doit déjà apprendre à manier le Maillet et le Ciseau. La symbolique du Compas et du cercle n’est évidemment pas sa préoccupation première ! 


Au grade de Compagnon, le Compas apparaît parmi les outils que porte le récipiendaire pendant son deuxième voyage symbolique, au Rite Français et au Rite Écossais Ancien Accepté en tout cas. C’est assez normal si l’on sait que le Compagnon commence à découvrir la Géométrie et que la cérémonie de réception à ce grade culmine à ces Rites par la découverte de l’Étoile Flamboyante, qui se trace avec le Compas et la Règle. Mais dans cette perspective, le Compas reste plutôt l’outil qui permet de reporter des mesures et même s’il peut tracer des cercles, on n’insiste pas particulièrement sur cette caractéristique.

 

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C’est au grade de Maître que le cercle commence à apparaître plus clairement. Ne dit-on pas que le Maître est passé de l’Équerre au Compas ? L’Équerre, qui permet de vérifier l’angle droit, suggère immédiatement le carré, symbole du monde matériel, marqué par les Quatre Éléments, les Quatre Points Cardinaux ; et le Compas évoque naturellement le cercle, qui symbolise classiquement le ciel, l’unité, l’infini. Le Maître est donc passé du carré au cercle, de la terre au ciel, de la matière à l’esprit, de la multiplicité à l’unité.


La Chambre du Milieu, qui est le nom de la Loge du troisième grade, peut aussi être interprétée comme une expression symbolique du cercle. Cette Loge est parfois décrite comme un cercle dont le Maître est invité à rejoindre le centre. C’est pourquoi certains rituels du Rite Écossais Ancien Accepté ne parlent plus des Colonnes du Nord et du Sud au troisième, les nommants Côtés du Nord et du Sud ; et quand on se déplace en Loge, on ne marque plus les angles de manière à manifester l’Équerre, mais on tourne de manière circulaire.


Dans les rites anglo-saxons, par contre, le cercle est offert la réflexion des francs-maçons dès le grade d’Apprenti. Dans la conférence du premier grade des rituels anglais (Emulation etc), on lit que "dans toutes les Loges régulières et bien constituées, on voit un point dans un cercle autour duquel les Frères ne peuvent s’égarer. À ce cercle sont jointes, au nord et au sud, deux grandes lignes tangentes et parallèles, la première représentant Moïse et la seconde la foi Salomon. Sur la partie supérieure de  ce cercle repose le Livre de la Loi Sacrée qui supporte l’Échelle de Jacob. Et si nous étions toujours aussi proches de ce Livre Saint et si nous adhérions aussi étroitement aux doctrines qu’il contient que le font ces deux lignes parallèles, cela nous conduirait auprès de Celui qui ne nous trompera pas et qui n’acceptera pas d’être trompé. En suivant la circonférence de ce cercle, nous devons nécessairement rencontrer ces deux parallèles ainsi que le Livre sacré ; et tant qu’un franc-maçon demeure dans de telles limites, il ne peut s’égarer." Un même symbole apparaît au Rite d’York, américain, mais les deux lignes y représentent Saint Jean Baptiste et Saint Jean l’Evangéliste.


Derrière une symbolique biblique qui pourra surprendre bien des francs-maçons européens, on comprendra que la franc maçonnerie s’organise de manière géométrique autour d’un centre, qui est le Grand Architecte de l’Univers. Le cercle représente alors la zone du travail maçonnique, bornée par les figures tutélaires de Moïse et de Salomon ou des deux Saint Jean, ainsi que par le Volume de la Loi Sacrée. Dans cette perspective, la symbolique du cercle n’est pas réservée aux seuls Maîtres, elle concerne la franc-maçonnerie dans son ensemble, dès le premier grade.


On mesurera ici la différence considérable qui existe entre la conception du travail maçonnique proposée par la franc-maçonnerie régulière anglo-saxonne et celle du Rite Écossais Ancien Accepté qui, bien qu’invoquant le Grand Architecte de l’Univers et exposant traditionnellement le Volume de Loi Sacrée, n’en affirme pas moins que la franc-maçonnerie "n’impose aucune limite à la recherche de la Vérité et que c’est pour garantir à tous cette liberté qu’elle exige de tous la tolérance" (Déclaration de Principes du Convent de Lausanne, 1875).

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La symbolique du cercle dans les hauts grades


Si dans la Loge symbolique, le rapport entre l’Équerre et le Compas (donc entre la carré et le cercle) est évoqué, il n’est pas approfondi. C’est dans les hauts grades, particulièrement le 5e degré du Rite Écossais Ancien Accepté, qu’il sera développé, sous la forme d’une énigme géométrique : la quadrature du cercle. Peut-on faire coïncider l’aire d’un carré et celle d’un cercle ?


Il y a bien sûr des approximations empiriques qui peuvent se tracer avec la Règle et le Compas. Mais mathématiquement, cette coïncidence est impossible, car l’aire du cercle se calcule avec le nombre π, qui est un nombre irrationnel transcendant, au nombre de décimales infini et non périodique (3.14159265358979323846264338327950288419716939937510582…). Là encore, par le calcul, seule une approximation peut être trouvée.


Nous ne nous appesantirons pas sur l’aspect purement mathématique de la quadrature du cercle et du caractère transcendant du nombre π. Retenons seulement que ce problème mathématique a occupé les philosophes et mathématiciens pendant plus de 3000 ans, pour n’être conclu qu’en 1882 (Ferdinand von Lindemann) par un constat définitif… d’insolubilité !


C’est bien plutôt la dimension philosophique et symbolique de cette insolubilité qui doit retenir notre attention d’un point de vue maçonnique. Si l’on considère que le carré représente le monde matériel, le fini, l’immanence, et le cercle l’unité, l’infini, la transcendance, il en résulte que ces deux niveaux de réalité ne peuvent jamais complètement coïncider. Le rapport entre ces deux réalités ne peut s’exprimer en termes de réel - irréel, car le carré comme le cercle sont bien réels. Il s’agit simplement de réalités qui se situent sur des plans différents et ne peuvent se recouvrir parfaitement. Comme si le cercle détenait toujours une sorte de "supplément d’être " par rapport au carré, et que cette différence, si minime soit-elle, était en fait abyssale et insurmontable, qualitative plus que quantitative.


Alors peut-on réaliser symboliquement la quadrature du cercle ? La franc-maçonnerie nous offre-t-elle cette perspective ? Cette question pourrait sembler assez mystique et rebuter certains francs-maçons rationalistes, mais on peut l’exprimer plus prosaïquement : peut-on concilier la matière et l’esprit ? L’initiation est sans doute un moyen de parvenir à réunir en soi la matière et l’esprit, de (re)trouver l’unité primordiale de notre être, mais peut-on alors atteindre autre chose qu’une approximation, comparable aux approximations géométriques ou mathématiques de la quadrature du cercle ? Pour parvenir à la parfaite adéquation du carré et du cercle, il s’agit sans doute de "passer de l’Equerre au Compas par-dessus le Tombeau du Maître Hiram". Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? À chacune et chacun de le trouver…

14 février, 2024 — Ion Rajalescu