Peu connu des Francs-maçons européens, le Rite d’York (York Rite en anglais) est le Rite le plus pratiqué par les Loges symboliques des États-Unis, au point qu’il est parfois simplement dénommé Rite Américain. Le Rite d’York n’est apparu que tardivement en Europe, à la faveur de la présence de troupes américaines dans le cadre des deux guerres mondiales. Mais quelles sont les origines du Rite d’York ? Pourquoi porte-t-il ce nom typiquement anglais s’il est américain ? Et quelles sont les spécificités du Rite d’York ?


En quoi consiste le Rite d’York ?


Le Rite d’York désigne un ensemble complet de treize degrés répartis en quatre Ateliers différents : 


Loges Bleues (sous la juridiction des Grandes Loges) :

  • Apprenti 
  • Compagnon
  • Maître 

Chapitres de l’Arche Royale (sous la juridiction de Grand Chapitres) :

  • Maître de la Marque
  • Passé Maître Virtuel
  • Très Excellent Maître
  • Maçon de l’Arche Royale

Conseils Cryptiques (sous la juridiction de Grands Conseils) :

  • Maître Royal
  • Maître Choisi
  • Super Excellent Maître

Commanderies de Chevaliers Templiers (sous la juridiction de Grandes Commanderies et du Grand Campement des États-Unis) :

  • Ordre de la Croix Rouge
  • Ordre de Malte
  • Ordre du Temple.

 

Plusieurs de ces grades existent dans la franc-maçonnerie des autres pays anglo-saxons (comme par exemple l’Arche Royale ou la Maçonnerie de la Marque), mais agencés autrement. Le Rite d’York est le seul dans la franc-maçonnerie anglo-saxonne à regrouper tous ces degrés en un ensemble cohérent qui porte le nom de Rite.


Les rituels du Rite d’York sont marqués d’une forte empreinte biblique, insistant surtout sur l’Ancien Testament dans les Loges, Chapitres et Conseils, et sur le Nouveau Testament pour les Commanderies. Il faut ainsi croire en Dieu (sans spécifier lequel) pour appartenir aux Loges, Chapitres et Conseils, mais il faut être chrétien trinitaire pour entrer dans les Commanderies.


Avec des variantes selon les États, le Rite d’York est le Rite officiel des Grandes Loges régulières américaines et bien sûr de la franc-maçonnerie afro-américaine de Prince Hall.


Le Rite d’York vient-il d’York ?


Les tenants du Rite d’York affirment volontiers que leur Rite (en tout cas dans ses grades symboliques) est le plus ancien du monde, puisqu’il remonterait à la première assemblée de Maçons tenue à York en 926, sous le règne du roi Athelstan. Cette assemblée légendaire est rapportée pour la première par le manuscrit Halliwell, plus connu sous le nom de "Regius" (vers 1390), mais la date de 926 n’est articulée que depuis le règne d’Elisabeth Ière. Aucune source historique ne confirme qu’une telle assemblée ait eu lieu. 


Il n’en demeure pas moins que la Loge d’York s’estima particulièrement éminente au sein de la franc-maçonnerie anglaise. C’est ainsi qu’en 1725, en réaction à la création de la Grande Loge de Londres et à l’altération des rituels opérée par cette dernière, elle se proclama "Grande Loge de toute l’Angleterre s’assemblant depuis des temps immémoriaux en la Cité d’York".


Cette Grande Loge, qu’on oublie souvent de mentionner quand on parle de la franc-maçonnerie anglaise du XVIIIe siècle, fut la première opposition organisée à la "Modernité" de la Grand Loge de Londres, et ce une trentaine d’années avant la fondation de la Grand Loge des Anciens. Son impact fut moindre que les deux autres Grandes Loges, car elle était peu structurée : elle fonctionnait comme une Mère-Loge, ne se réunissant que pour recevoir de nouveaux Frères dans le but de constituer des nouvelles Loges, et n’assurait pas l’administration de ces Loges. Elle se mit en sommeil dans les années 1730, pour renaître en 1761. En 1769, la Loge "Antiquity" de la Grande Loge de Londres s’en sépara et s’unit à la Grande Loge d’York, qui prit alors le nom de "Grande Loge de toute l’Angleterre au Sud de la Rivière Trent." Cette Grande Loge cessa toute activité en 1789 ou 1790.


Quel était le rituel (ou les rituels) en usage dans les Loges reconnues par la Grande Loge d’York ? On ne le sait pas. Mais on peut sans hésiter affirmer qu’il était de la tradition dite Ancienne, comme l’était ceux de la Grande Loge des Anciens, de la Grande Loge d’Irlande et de la Grande Loge d’Écosse, et comme le sera dès 1813 le Rite Anglais Emulation. 


A défaut de connaître le rituel en usage dans la Grande Loge d’York, on notera cependant une particularité : à la différence des autres Grande Loges, elle conférait non seulement les trois grades symboliques, mais également le Royal Arch (dès 1770) et le Chevalier Templier (dès 1780). Cette structure nous rappelle bien sûr celle de l’actuel Rite d’York, moins le Conseil des degrés Cryptiques, lesquels n’apparaissent à New York qu’à partir de 1792, et commencent à se structurer vers 1810. Mais y a-t-il un lien de filiation directe entre les usages de la Grande Loge d’York et l’actuel Rite d’York Américain ? On est en droit d’en douter.


Les origines du Rite d’York ou Américain 


Le Rite d’York est né dans les colonies américaines, qui allaient devenir les États-Unis d’Amérique après 1783. Même s’il plonge ses racines dans les traditions maçonniques anglaises, irlandaises et écossaises, il n’en est pas moins original et représente le fruit des compromis adoptés pour harmoniser les différents usages maçonniques venus de Grande-Bretagne et les fondre en un Rite qui soit propre au nouveau pays indépendant qui venait de naître.


Les premières Loges américaines, qui apparaissent dès 1730, ont en effet plusieurs origines : certaines avaient été fondées par les Grande Loges Provinciales implantées dans les colonies par la Grande Loge de Londres (les "Modernes"), mais la plupart étaient de tradition "Ancienne" : il s’agissait de Loges de création spontanée, ou de Loges fondées par des Loges militaires rattachées à la Grande Loge d’Irlande, par la Grande Loge d’Écosse, ou encore par la Grande Loge des Anciens (à partir de 1758).


On voit mal comment la Grande Loge d’York, qui entrait en sommeil au moment où les premières Loges étaient fondées en Amérique, aurait pu jouer un rôle dans le développement de la franc-maçonnerie américaine. Et même après son réveil en 1761, elle ne comptait que neuf Loges quand la Guerre d’Indépendance Américaine se termina en 1783. On lit parfois que les Loges militaires irlandaises auraient diffusé le Rite de la Grande Loge d’York sur le nouveau continent. Mais pourquoi l’auraient-elles fait, étant donné qu’elles dépendaient de la Grande Loge d’Irlande et disposaient de leur propre tradition maçonnique ?

 


La nécessité d’un nouveau rituel en Amérique s’imposa pour des raisons historiques. Lors de la Guerre d’Indépendance, les Loges dépendant de la Grande Loge de Londres (les "Modernes") prirent plutôt le parti de l’Angleterre, tandis que les "Anciens" rejoignirent plutôt le camp des Insurgés. Après l’Indépendance effective de 1783, beaucoup de Francs-maçons "Modernes" rentrèrent en Angleterre et les différentes Grandes Loges Provinciales de la Grande Loge de Londres finirent par fusionner avec leurs homologues de tradition "Ancienne". Le Rite d’York s’imposa alors comme le seul Rite pratiqué par les Grandes Loges des États formant l’Union.


Pourquoi le nom de Rite d’York ?


Si les francs-maçons qui se réclamaient de la Grande Loge d’York n’ont manifestement joué aucun rôle dans la diffusion de la franc-maçonnerie en Amérique, si le rituel qu’ils utilisaient à peu de chance d’avoir franchi l’Atlantique, pourquoi donc le Rite Américain porte-t-il ce nom de Rite d’York ?


Les francs-maçons américains ont sans doute choisi ce nom pour deux raisons. La première est que la Loge d’York, souvent mentionnée dans les "Old Charges", restait entourée de l’aura légendaire qui en ferait le berceau de la franc-maçonnerie.


La deuxième raison est plus diplomatique. Les Loges américaines étaient d’origine anglaise, irlandaise ou écossaise. Laquelle de ces tradition aurait la primauté dans les nouveaux États-Unis ? Les Grandes Loges des États américains ne pouvaient certainement pas se dénommer "Anglaises", c’est évident. Mais se dire "Irlandaises" ou "Écossaises" auraient introduit des particularismes propres au Royaume-Uni qui n’avaient plus de raison d’être dans la nouvelle République. La tradition d’York, qui prétend remonter à des temps immémoriaux, permettait de relier la nouvelle franc-maçonnerie américaine à la plus pure tradition maçonnique, sans pour autant citer le nom de l’Angleterre ni de Londres. 


C’est manifestement le statut mythique du nom même d’York qui a permis au Rite d’York de garder symboliquement le contact avec l’ancienne franc-maçonnerie anglaise, tout en ayant tourné le dos à l’Angleterre d’un point due vue historique et politique.

29 avril, 2024 — Ion Rajalescu