Les Arts Libéraux apparaissent dans les rituels maçonniques au cours du XIXe siècle et sont depuis lors découverts par le futur Compagnon lors de ses voyages symboliques dans la plupart des Rites continentaux. Mais cette classification du savoir semble quelque peu archaïque et certains rituels maçonniques les ont remplacés par les Sciences, parmi lesquelles des sciences beaucoup plus modernes sont parfois mentionnées.

 

Que sont donc les Arts Libéraux ? Il s’agit du cursus de formation intellectuelle de l’Antiquité latine, qui perdura durant tout le moyen âge, ayant été généralisé sous Charlemagne. Les Arts Libéraux sont au nombre de sept, qu’on peut diviser en deux parties, le Trivium et le Quadrivium.

 

Le Trivium (la triple voie) était la première partie enseignée et comprenait les Arts touchant au "pouvoir du verbe". Il s’agit de la Grammaire, de la Dialectique et de la Rhétorique, Arts qui permettent de s’exprimer clairement et de structurer la pensée par la logique du raisonnement.

Le Quadrivium (la quadruple voie) était alors enseignée à ceux qui avaient acquis la maîtrise du Trivium. Les quatre Arts du Quadrivium concernaient le "pouvoir du Nombre". Il s’agit de l’Arithmétique, de la Musique, de la Géométrie et de l’Astronomie. Au terme du Quadrivium, l’étudiant recevait le titre de Maître ès Arts et, à partir du XIIe siècle, pouvait entrer à l’Université. La Maîtrise ès Arts correspondait donc plus ou moins à notre baccalauréat. 

Le savoir transmis par les Arts Libéraux était considéré comme le savoir noble et élevé, car c’est lui qui conduisait à la philosophie et à la théologie. Il s’opposait donc aux Arts dits Serviles, qui comprenaient toutes les arts techniques et mécaniques, y compris les métiers de la construction. L’Église n’hésitait d’ailleurs pas à discréditer ces Arts mécaniques en rappelant que ce sont eux qui sont à l’origine du développement des armes.


Alors pourquoi la franc-maçonnerie se réclame-t-elle d’un modèle pédagogique qui méprisait les Métiers? Les rituels maçonniques du XIXe siècle n’ont rien inventé. Ils ont simplement fait écho aux plus anciens documents connus de la Maçonnerie opérative anglaise: les Old Charges (Anciens Devoirs). Ces textes, dont on dispose de nombreux manuscrits, ont été rédigés entre la fin du XIVe siècle et le XVIIIe siècle. Il s’agissait des Règlements des anciennes confréries de Maçons anglais, et ils servirent également aux premiers Freemasons spéculatifs. Mais ils comprenaient aussi une histoire légendaire du Métier qui commençait généralement par un éloge des Arts Libéraux. Et pour que la Maçonnerie fasse partie de ces Arts Libéraux, ils l’assimilèrent tout simplement à la Géométrie. Du coup, la Maçonnerie n’était plus un simple Art Servile et mécanique, elle devenait une partie du Savoir le plus élevé, une partie de la Connaissance qui débouchait sur la philosophie et la théologie. Comme les Old Charges s’appliquent également à montrer que de nombreux rois ou princes honorèrent les Maçons ou furent Maçons eux-mêmes (David, Salomon, Charles Martel, Athelstan…), on peut supposer que l’idée de qualifier la Maçonnerie d’Art Royal remonte également à cette époque.

 

Est-ce à dire que les Maçons opératifs anglais de la fin du moyen âge avaient tous suivi le cursus du Trivium et du Quadrivium et étaient tous bardés du titre de Maître ès Arts? De loin pas, et seuls quelques Maîtres d’Œuvre sont connus pour avoir été Maîtres ès Arts. Les affirmations des Old Charges ne sont pas une description sociologique, mais bien plus une revendication: que les Maçons, qui bâtissaient cathédrales et abbayes, ne soient pas considérés  comme de vulgaires ouvriers, mais comme les détenteurs d’un vrai Savoir, qui tendait à la philosophie, comme tous les autres Arts Libéraux. Affirmant ainsi la dimension philosophique et spirituelle de la Maçonnerie, ces bâtisseurs médiévaux pressentaient-ils déjà ce qu’allait devenir la franc-maçonnerie au XVIIe et XVIIIe siècles ? 

 




Ion Rajalescu :.

10 novembre, 2023 — Ion Rajalescu