Si le tablier est l’habillement spécifique du franc-maçon, les sautoirs et cordons revêtent dès le grade de Maître une grande importance dans ce qu’il est convenu d’appeler les décors maçonniques. Une précision terminologique s’impose d’emblée: dans le vocabulaire maçonnique contemporain, le sautoir désigne un large ruban porté en collier, et l’on appelle cordon (ou baudrier) ce même ruban s’il est porté en travers du corps, de l’épaule droite à la hanche gauche (ou l’inverse pour certains hauts grades). Mais dans les rituels maçonniques français du XVIIIe siècle, on parlait uniquement de cordon, en précisant s’il est "porté en sautoir" ou "porté en écharpe". En Loge bleue, seuls les Officiers portent un sautoir, qui devient ainsi un insigne de leur fonction, alors que les Maîtres sont revêtus d’un cordon, marque de leur grade. Dans les hauts grades, cette distinction n’est plus absolue: dans certains degrés, tous les membres portent un sautoir, qu’ils soient Officiers ou non.


Origine des sautoirs et cordons


Le sautoir a évidemment une utilité pratique: il permet de porter l’insigne de la fonction exercée par un Officier de la Loge ou de l’Obédience. Les plus anciennes illustrations anglaises nous montrent qu’à l’origine, il s’agissait d’un simple ruban fin, dont la couleur n’était apparemment pas définie. Mais la couleur bleue va assez rapidement s’imposer dans la franc-maçonnerie anglaise pour caractériser les Grands Officiers de la Grande Loge. Il s’agissait d’un bleu foncé, sans doute inspiré du cordon de l’Ordre de la Jarretière. Un bleu plus clair fut ensuite adopté pour les Loges. Mais dans la franc-maçonnerie anglaise, seuls les Officiers portent un sautoir, et les Maîtres ne portent pas de cordon.


C’est en France que le port du sautoir et du cordon va vraiment se développer. Ici encore, il y a une référence claire à un Ordre honorifique: l’Ordre du Saint-Esprit, l’Ordre le plus prestigieux que conférait la monarchie française. Les francs-maçons français adoptèrent donc un cordon de la même couleur, c’est-à-dire bleu clair. L’usage même du nom cordon atteste de l’origine nobiliaire et non maçonnique de cet accessoire, car c’est le mot utilisé pour désigner les rubans permettant de porter le bijou distinctif des Ordres nobiliaires. Et comme le cordon de ces Ordres se portait en sautoir ou en écharpe, selon le rang de son porteur, la franc-maçonnerie française ajouta aux sautoirs des Officiers des cordons portés en écharpe par les simples Maîtres. Permettre à des bourgeois de porter un cordon bleu (uniquement en Loge, bien sûr) signifiait que tous les francs-maçons étaient égaux. Et c’était aussi une manière d’affirmer que, loin d’être une simple association d’ouvriers, la franc-maçonnerie était et avait toujours été un Ordre prestigieux, honoré par les princes et les rois. Le port des sautoirs et cordons peut ainsi être mis en parallèle avec celui de l’épée dans la franc-maçonnerie française. L’Ordre du Saint Esprit, tout comme le port de l’épée, étaient des privilèges de la noblesse, accordés aux francs-maçons dans le secret des Loges.


Le développement des hauts grades va bien sûr favoriser le développement de toutes sortes de nouveaux sautoirs, cordons et collerettes, de couleurs différentes (noirs, rouges, verts, blancs, cramoisis etc.). Et l’on vit alors apparaître un troisième accessoire dans certains hauts grades français: l’écharpe, qui se porte soit en baudrier, soit autour de la taille, en plus du cordon. Au lieu de se terminer en pointe comme le cordon, les deux pans de l’extrémité de l’écharpe restent distincts et sont ornés de franges. 


Les sautoirs, cordons et écharpes dans la franc-maçonnerie contemporaine 


Aujourd’hui, les Officiers des Loges et les Grands Officiers et Dignitaires des Obédiences maçonniques, ainsi que les membres et Officiers des Hauts Grades, portent un sautoir dans tous les Rites maçonniques, aussi bien continentaux qu’anglo-saxons. Mais dans le cas de ces derniers, ils sont concurrencés par les Colliers de Chaînes portés notamment dans la Grande Tenue des Officiers de Grande Loge. C’est aussi le cas de la plupart des Obédiences maçonniques régulières, telles la Grande Loge Nationale Française, où les Grands Officiers disposent d’un Collier de Chaîne dans leur Grande Tenue. Par contre, hors du monde anglo-saxons, les Colliers de Chaîne ne sont pas utilisés en Loge bleue.


Le Collier de Chaîne remonte au moyen-âge et était notamment utilisé par les Ordres de Chevalerie, comme celui de la Toison d’Or. Très utilisé dans les cours de toute l’Europe jusqu’à la Renaissance, ce type de collier va progressivement disparaître au profit des sautoirs en ruban, sauf en Grande Bretagne, où ils sont aujourd’hui encore le signe distinctif des maires d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Irlande, et des Prévôts d’Écosse.


Le cordon (ou baudrier) est porté par les Maîtres de pratiquement tous les Rites Maçonniques continentaux (Rite Écossais Ancien Accepté, Rite Français, Rite de Memphis-Misraïm…), à l’exception du Rite Écossais Rectifié, du Rite de Schroeder et du Rite Suédois. Dans ce dernier, il est remplacé par une petite collerette ornée d’une rosette. On retrouve le cordon dans les Loges bleues du Rite d’York. Et de nombreux cordons apparaissent, en plus des sautoirs, dans les hauts grades et side degrees, tant continentaux qu’anglo-saxons.


Quant à l’écharpe, elle est plus rare. En Loge bleue, on ne la retrouve guère que dans le Rite Standard d’Écosse (cet usage est probablement d’origine française) et plus tard dans le Rite Opératif de Salomon. L’écharpe est plus fréquente dans les hauts grades et dans les side degrees, tels que les IIe et IIIe Ordres du Rite Français, le Royal Arch, le Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte, l’Ordre du Moniteur Secret…


Il faut noter qu’en dehors de la franc-maçonnerie, le Compagnonnage français, lors de sa renaissance au XIXe siècle, adopta lui aussi des écharpes de différentes couleurs, par imitation des francs-maçons.

15 novembre, 2023 — Ion Rajalescu